
jeudi 23 décembre 2010
Décembre…
lundi 22 novembre 2010
Divination
Le devin ivrogne me révèle contre quelques sous
Les numéros gagnants du loto
(Chiang Maï, Thaïlande)
mercredi 10 novembre 2010
Position des corps adverses comme s'ils étaient laqués ou collés
"Laqués ou collés" signifie que les corps des deux adversaires sont très rapprochés et ne se séparent plus. Lorsque nous approchons du corps de notre adversaire, collons-nous fort à lui par la tête, le tronc et les jambes.
Bien qu'en général les gens approchent vite leur visage et leurs jambes, leur corps est sujet à demeurer en arrière. Il faut donc bien coller son corps à celui de l'adversaire et y adhérer de façon qu'il n'y ait aucun espace. Réfléchissez-y bien.
Miyamoto Musashi, Traité des Cinq Roues
mercredi 3 novembre 2010
Ma plongée avec Nicolas Hulot
Me voilà explorant les fonds marins en compagnie de Nicolas Hulot et de quelques-uns de ses collègues. Nous nageons en eaux peu profondes, près d'un récif qui dresse ses ombres noires et déchiquetées, inquiétantes, dans le soir tombant. Lorsque nous remontons à la surface, Nicolas, l'homme-sorti-de-la-télé-pour-sauver-la-planète, me lance un regard incrédule; ses bras qui se lèvent et retombent dans un plouf pathétique expriment le dépit. Je comprends aussitôt. L'inquiétude me saisit comme une giclée d'adrénaline: tous les autres plongeurs ont disparu et, c'est sûr, courent maintenant un grand danger. Je repars pour une nouvelle immersion dans les eaux noires, fébrile, me sentant bientôt la proie facile d'un péril indicible. Mais aussi mystérieusement qu'ils s'étaient volatilisés, nos compères réapparaissent à nos côtés. Dans le soulagement général, personne ne songera à demander d’explication.
— « Mmh mmh…»
mardi 26 octobre 2010
L'obsession des côtes à la lumière d'un phare phobique
"Pourquoi faut-il toujours que nous nous retrouvions sur la côte?" demanda My en regardant ses pieds s'enfoncer toujours plus dans le sable noir à chaque reflux des vagues. "Tu me parles toujours de plage, de marées, de bateaux, de traversées… N'y a-t-il rien d'autre qui vaille la peine?" La fin de sa phrase avait été aspirée dans un bruit de succion, quelques algues filandreuses s'enroulèrent autour de ses talons. "Tu me décris des créatures multicolores, des villes de corail aux architectures gothiques, flamboyantes, des labyrinthes aux dédales cérébelleux, la grâce, la lenteur, le temps en suspens…"
Le soleil avait plongé d'un coup derrière la ligne d'horizon - sous ces latitudes, c'est un soleil narcoleptique; tombent à sa suite, brutalement, les ténèbres: reliefs cendrés, eau noire et huileuse comme du pétrole, bruits étouffés, bruissements, murmures… Ceux des hommes s'estompent, ceux de la nature s'enhardissent et préparent le changement de règne. "Tu sais bien que n'ai jamais mis la tête sous l'eau. Ce monde m'est étranger, ajouta-t-elle d'une voix minuscule. Viens, retournons vers l'intérieur."
Non, attends, parce que je sais, écoute, je suis sûr, la côte c'est la seule ligne de fuite, c'est la frange d'un monde, la seule ouverture, pas de murs, pas d'arbres, l'horizon, et au-delà, tu ne le vois pas mais tu sais qu'il existe un au-delà et que tu peux l'atteindre, que c'est possible, et que tu iras et qu'il faudra continuer d'avancer, tu débroussailleras, tu te feras un chemin, tu t'élèveras parce que tu veux pas, je veux pas crever digéré par l'estomac immonde des villes ni ensuqué, étouffé par la nature monstrueuse et moite; je veux plus être dans le noir, seul, terrifié, à tâtonner, à heurter les parois, tu sais comme la fois où petit les plombs avaient sauté et j'étais debout au milieu de la chambre et tout était si noir, j'avais pourtant les yeux ouverts mais on m'avait cousu de la nuit dessus; j'étais dans cette grande chambre et je me croyais dans les chiottes: un pas en avant dans n'importe quelle direction et j'aurais dû en tendant les bras toucher la porte ou les murs, mais deux, trois pas et mes mains tendues ne rencontraient rien, rien que le vide immense et noir, et je continuais d'avancer et la nuit me rentrait de partout, par le nez, par la bouche et envahissait mes poumons, et j'ai senti qu'elle allait m'engloutir, me dissoudre, j'ai compris qu'elle n'était pas à l'extérieur mais que c'est moi qui étais à l'intérieur, dans le ventre de la nuit, et qu'elle était en train de me digérer. Alors je n'ai plus bougé et j'ai hurlé et craché jusqu'à ce que la lumière revienne. Tu vois maintenant je veux garder les yeux ouverts, je veux pouvoir sortir la tête, respirer, voir loin, je veux de l'espace où m'enfuir quand j'ai peur. Cela je le sais, j'en suis sûr, je le sais.
Ce que je savais aussi c'est que les mots, quand ils ne sont pas vains, agissent comme une médecine à effet retard, et que le temps que My comprenne il serait trop tard, qu'elle serait déjà loin de moi, qu'elle nourrirait peut-être des regrets ou de la rancœur à mon égard.
"D'accord", répondis-je. My me prit par le bras et doucement me fit faire demi-tour. Nous marchâmes encore quelques mètres sur le sable noir avant de nous engouffrer sur le chemin de terre qui serpentait sous les arbres et rejoignait les premières maisons du village, puis la route, puis la jungle, puis la ville, puis encore la route, et tout au bout une autre côte… et la mer. Je serrai fort la main de My: "Dis, quand on sera arrivés, ça te dirait d'aller voir nager les dauphins? Il paraît que là-bas les pêcheurs t'embarquent avec eux au lever du soleil pour quelques roupies. Ça doit être merveilleux!"
(Lovina - Bali, Indonésie)
samedi 2 octobre 2010
L'herbe repousse, pas les moignons
Au fond du lac Hoan Kiem
Repose une épée légendaire.
Qui l'en extraira
Délivrera le pays de sa malédiction
Dit le jeune vendeur de cartes postales
Manchot
Mutilé, mutilé
Du nord au sud partout
C'est un pays mutilé
Des bras des jambes de l'âme
Amputé
Le vieil homme édenté
A honte de son sourire
Qu'il cache du revers de la main
Après le thé il nous invite
A l'étage de sa maison
Un petit autel
Bois et plastique rouge
Dorures bougies tremblantes
Et des photos sépia
Portraits endimanchés
D'une femme et deux enfants
Il se tait maintenant
Et sourit
En s'approchant de la fenêtre ouverte
Dehors
Des canards barbotent
Au fond des trous d'obus
Derrière le mur jaune décrépit
Des enfants crient et jouent
Au ballon
Aux mousquetaires
(Hanoï - Hoi Han, Vietnam)
lundi 27 septembre 2010
Nuages fous
Dans un bistro
jeudi 23 septembre 2010
La main du diable… sur le déclencheur
vendredi 10 septembre 2010
Départ

Quand tu aimes il faut partir
lundi 6 septembre 2010
Chenille jaune, chenille rouge

vendredi 3 septembre 2010
Un éclair d'éternité

Le bouddhisme est négatif. Il vous dira ce qu'il n'est pas et si vous insistez pour qu'il soit «quelque chose», il mettra un espace vide à votre disposition dont vous pourrez faire ce que bon vous semble. C'est seulement en ce qui concerne ses méthodes qu'il sera spécifique: il vous dira de méditer, de vivre avec la conscience de vos actes, de faire de votre mieux. Il vous dira de gagner honnêtement votre nourriture quotidienne. D'être bienveillant en pensée et en paroles. Il vous suggérera de créer vous-mêmes les situations dans lesquelles vous voulez vous trouver plutôt que de vous y laisser acculer par vos actes et ceux des autres. Il vous recommandera de regarder vos doutes en face. Il vous conseillera de faire vos expériences par vous-mêmes. Il refuse tout dogmatisme. Il désapprouve qu'on impose ses opinions aux autres. Et il insiste pour que vous fassiez l'effort de vous connaître, vous, votre paresse, votre vanité, votre avidité, ces sentiments qui sont la roue motrice de la vie.
Un instant, pensais-je. Il y a une chose que je sais. Je sais que la liberté existe. Et c'est ça, le centre du bouddhisme. La roue tourne, semble-t-il, éternellement. Vie après vie, paradis après paradis, enfer après enfer. La volonté de vie entraîne de nouvelles naissances et de nouvelles morts. Mais à n'importe quel moment donné, on peut trouver la liberté. Le Bouddha l'a trouvée, les maîtres zen l'ont trouvée. Tout ce qu'ils ont pu faire, nous le pouvons aussi. Il suffit de persévérer.
Janwillem Van de Wetering, Un éclair d'éternité.
jeudi 2 septembre 2010
La transmigration du va-nu-pied (1)

Comme un bâton d'encens
Une prière pour l'enfer
Dans l'odeur âcre de la vinasse
Et du tabac froid
Dans un port d'Asie
La coque bleu ciel
Les turbines des chalutiers
Et l'odeur de graisse et de gasoil
M'invitent à partir
Dans la nausée de 5h du matin
La tête à même le banc de bois
Je chavire en mer de Chine
Pour seul repas
Un petit pain rond
Dans l'estomac
Et la fumée d'une Marlboro
De contrebande russe
Passe de mains en mains
Jusqu'au pont arrière
Où le dernier volontaire
Le balance par-dessus bord
Voir si l'on peut
Echapper à ces odeurs
De corps
De mort
De souffrance
mercredi 1 septembre 2010
Impassible

Celui que je suis est toujours à l'écart de la mêlée,
mardi 31 août 2010
Pas de mémoire, pas de PCV

I
« Ces tunnels ont été creusés par l’occupant japonais pendant la Seconde Guerre mondiale pour y cacher des armes », déclama Henky, qui avait ce jour-là décidé d’expérimenter sur nous ses velléités de guide touristique. En cobayes amicaux, nous avions donc grouillé une bonne partie de l’après-midi dans des galeries souterraines froides et déprimantes. Quand nous refimes surface, le jour était déjà en train de tomber au fond du canyon, et notre ami proposa d’aller vider quelques verres d’alcool de banane au pasar malam*, histoire d’éponger un peu de cette noirceur. A côté de nous, un camelot braillard coiffé d’un casque colonial hollandais débitait son boniment, marchand de tout et de rien : vaisselle, poupées aux mines extatiques, insignes militaires, encres magiques, poudres et plantes sèches…
D’un clin d’œil, Henky nous fit signe de le suivre jusqu’à l’échoppe. Quelques mots échangés à l’oreille, et le colon sortit d’une paire de bottes – qu’on eût dit de la wehrmacht - deux bouteilles de verre brun gravées à l’effigie d’un orang-outan. « Arak ! Araaaak ! Trouble la mémoire et chasse la raison ! » souffla le marchand d’un ton de vieux sorcier en nous tendant les fioles.
C’est en riant et humectant la nuit de notre haleine de banane que nous descendîmes la rue jusqu’au bistrot de Mr Klik-Klik, un comparse de Henky, qui nous accueillit par de petits bonds simiesques.
II
Ce matin. A l’intérieur de ma tête, des créatures protéiformes tapent en rythme à l’aide de gros maillets les parois craniennes et l’arrière des lobes oculaires. Elles se ramassent en un tas à l’allure de tête de bélier et s’acharnent au niveau des tempes comme pour y percer un tunnel de sortie, s’étirent ensuite en longs filaments tentaculaires pour s’enrouler autour des nerfs optiques et balancer de brèves décharges électriques, avant de couler via les sinus vers le fond de la gorge, où elles déploient en parapluie des millions d’aiguillettes.
C’est dans ces dispositions que j’arrivai au wartel**.
- « Je voudrais passer un appel en PCV. »
- « Vous êtes Allemand ?», demande le petit homme vérolé aux yeux jaunes, qui trône assis en tailleur sur un fauteuil de bois sculpté.
- « Non. »
- « Parce que si vous êtes Allemand, je ne vous donne pas le PCV », reprend le gnome se laissant glisser du fauteuil et dardant une petite langue de reptile.
- « Ah ? »
- « Vous ressemblez à un Allemand », insiste-t-il. Il est maintenant au bas du fauteuil, à deux doigts de frotter sa peau de crotale sur mes mollets.
- « Je ne parle pas allemand », dis-je, pensant couper court.
- « C’est vrai, vous parlez anglais, mais les Allemands aussi parlent anglais quand ils sont loin de chez eux », siffle l’invertébré d’un ton supérieur. Avec ses longs ongles acérés et noirs de crasse, il entreprend de me griffer le dessus des pieds.
- « Mais les Allemands ne parlent pas le français, moi oui ! », proteste-je, en français cette fois.
- « Hollandais peut-être ? » poursuit-il en grimpant le long de mes cuisses. « Nous les avons aussi en sainte horreur par ici. » Sa minuscule langue fourchue se colle par à-coups à ma peau comme pour la goûter.
- « Français ! hurle-je, je suis Français ! Français ! » J’ai envie de vomir. La viscosité froide du téléphoniste s’enroulant maintenant autour de mes hanches me pétrifie.
- « Français ? Alors c’est différent. Mais c’est trop tard. » Il resserre son étreinte autour de mon thorax.
- « Cela me semble un peu… définitif », bafouille-je.
Je tentai de me défaire de l’étau en écartant les bras. L’effort était surhumain. Mes tempes étaient sur le point de céder sous les coups redoublés des créatures protéiformes. Elles recommencèrent leur circuit : bélier, méduse, oursin. Je me débattai de plus belle. Quand les aiguilles pénétrèrent mes muqueuses, je poussai un cri dément qui décupla mes forces. Je soulevai le reptile à bout de bras, le flanquai au sol.
- « Tu vas me le passer, ce PCV !? » Je balançai des coups de pied à l’aveugle dans le tas informe et squameux qui continuait d’onduler. « C’est pas ma faute ! Les Allemands, les Hollandais, les Japonais, j’y suis pour rien, putain! J’étais pas né ! » Les coups pleuvaient. Dans un dernier élan de bravoure, la bestiole, qui éructait maintenant un liquide verdâtre et visqueux, se dressa sur ses membres antérieurs, fixa dans les miens ses yeux jaunes gorgés de dédain, et lança d’une voix qui s’estompa dans un gargouillis :
- « En fin de compte, vous êtes tous les mêmes. Pas de PCV ! »
(Bukittinggi, Ouest Sumatra, Indonésie)
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* Marché de nuit / ** Wartel : contraction de warung telpon = boutique téléphone.
dimanche 29 août 2010
Les trois ponts

Un vieux père réprimande son ivrogne de fils qui rentre chaque soir ivre à la maison. Celui-ci promet de s'amender et de boire moins. Le soir même, le fils ne rentrant pas, le père part à sa recherche. Il le trouve à demi noyé, accroché au pilier du pont qui sépare l'auberge de la maison paternelle.
samedi 28 août 2010
Les roues de la Loi

vendredi 27 août 2010
Feuilles de route

Allez, fiston, on prend ses frusques sur son dos,
Marathon Man

jeudi 26 août 2010
Hébétude
Ce qu'il faut connaître pour être poète

mercredi 25 août 2010
La main de Bouddha… sur l'accélérateur

lundi 23 août 2010
Un cri dans la nuit

dimanche 22 août 2010
La main de Fatma… dans ta gueule
- « Tu tiens ta tasse à gauche ? », tenta-t-il.
J’étais juste d’humeur à boire mon café en silence et profiter du chant des oiseaux dans le jardin. N’y tenant plus, F. Alik s’est soudain levé et a posé un doigt gras et moucheté de grains de riz sur un fait divers de quelques lignes, s’est rassis, puis feignant un air dégagé :
- « Elle l’a bien mérité. C’était une mauvaise musulmane. »
Hier après-midi dans le centre de Kota Baru une adolescente était morte, renversée par une voiture folle en sortant de son lycée. Je levai le nez et interrogeai mon hôte du regard. D’un bref mouvement du menton, il m’intima de poursuivre. A l’hôpital, au moment de dévêtir le jeune corps sans vie, on avait découvert que la gamine portait en pendentif, blotti sur sa poitrine, un petit christ en croix.
- "Tu vois!" me lança fièrement F. Alik, tout repu de lui-même et de poisson séché, comme s'il venait à l'instant de me fournir la preuve irréfutable de l'existence de Dieu.
Le conducteur de l'auto ne fut pas inquiété. Mais ce que ne dit pas le journal c'est combien ce chauffard providentiel, ce justicier divin, ce héros de l'islam avait de grammes d'alcool dans le sang…
(Kota Baru, Est Malaisie)

samedi 21 août 2010
Un coin de ciel bleu

- « Pas un coin, une bande », dit Olie, allongé sur le ponton les bras en oreiller et les orteils barbotant dans le lagon.
- « Quoi, une bande ? »
- « Ben un rectangle, un couloir, quoi. »
- « Quoi, un couloir ? »
-« Merde, va voir ! »
J’ai remonté le sentier reliant la plage à la route. Plein soleil. « Là, je suis sec ! » criai-je à Olie. J’ai enfourché la mobylette, pris la route au hasard, à droite. 500 mètres plus loin, j’entre dans un rideau de pluie comme sous une cascade. Rebrousse chemin, de nouveau sous le soleil, repasse devant Olie: « Là, putain j’suis trempé ! » Continue la route dans l’autre sens. 500 mètres, et c’est de nouveau la douche et le ciel noir.
J’ai recommencé le manège une bonne dizaine de fois, lançant à chaque passage tantôt un cri de joie, tantôt une injure à Olie, qui ne laissait toujours entrevoir aucun signe de vie. Après avoir épuisé les combinaisons possibles - allongé sur la route la tête sous l’eau et le corps au soleil, et vice versa ; juste une jambe sous l’eau le reste au sec ; ou encore debout la moitié du corps immergé, avec des Oooh ! et des Ouaah ! - j’ai abandonné la pétrolette dans un bosquet et suis retourné me sécher sur le ponton, où Olie, impassible, préparait un nouveau joint d’herbe.
(Ko Samui, Choeng Mon, Sud Thaïlande)
vendredi 20 août 2010
Déclic à Varanasi, des claques à Paï

« Benarès, c’est une ville, il s’y passe tellement de choses que tu prends ton appareil et tu shootes dans tous les sens, les yeux fermés, t’auras toujours des super-photos ! » Après une flopée de Mékong-soda, Jean-Marc, fier de son allégorie, en avait fait une litanie pour l’auditoire des quelques traînards cosmopolites réunis dans le café.
L’unique ventilateur brassait l’air chaud et la fumée. Pi servait les whiskies en rigolant, Mary avait des yeux pétillants qui disaient « Emmène-moi » ; Benoît, qui y voyait un charmant appel érotique, bombait le torse en lançant des œillades lubriques à l’Anglaise ; Haneke comparait le statut du végétarien dans l’Asie bouddhiste et l’Occident carnassier ; Olie, qui confondait insolation et abus d’alcool, lâcha la boule 8 dans un trou du billard avant de disparaître – pendant 3 jours. Jean-Marc continuait d’effeuiller à voix haute ses carnets indiens…
Et notre petit café de planches branlantes, aux ampoules tressautantes, aux accents et aux rires claquants ou étouffés dans les verres vibrait comme une luciole au milieu de la nuit immense et moite qui maintenant engobait tout, comme une poix descendue de la jungle.
Le lendemain, seul au milieu d’une rizière hérissée de huttes sur pilotis, entourée de montagnes où pointait le stupa d’un temple abandonné. Subjugué par la beauté du paysage, me mis à tournoyer en hurlant, appuyant comme un damné sur le déclencheur de mon appareil. Arrivé en courant à l’échoppe du photographe. Le petit homme, un Indien à la peau noire et chauve comme un bonze, ricana en me tendant le boîtier… vide de toute pellicule.
(Paï, Nord Thaïlande)
jeudi 19 août 2010
Le bâton de John

« Si tu vas dans la montagne demain, trouve le bâton de John et rapporte-le moi, s’il te plaît », me supplie Dewi. Tandis que les accords de ma guitare s’accrochent au vent frais du soir, ses beaux yeux noirs et tristes se perdent dans le rougeoiement du ciel, par-delà la sombre silhouette du volcan.
Après des heures de montée, ai trouvé contre la poutre d’une vieille cahute de ravitaillement un bâton de marche joliment gravé à la pointe d’un couteau. « Où est John ? » risquai-je. La femme me sourit, pointe le bâton, puis écarte les bras en lançant un regard vers le ciel.
Sur le chemin du retour, un vieillard m’invite à prendre un café dans sa petite baraque de bois. Plusieurs jeunes entrent à ma suite, s’assoient et se passent de main en main un kriss, long couteau à lame serpentine. L’un deux me toise, hostile, jette un œil au bâton : « John ? » Il appuie la pointe du couteau sur mon estomac, simule de petites entailles puis l'éventration.
Lorsque que livrai le bâton à Dewi, ses yeux de jais brillèrent intensément, fichés dans les miens, interrogateurs. Sur son visage, la petite moue mélancolique que je lui connaissais se fit soudain pleine de reproche. Elle murmura une phrase en indonésien, puis tourna les talons et marcha vers la maison en s’appuyant sur le bâton de John.
Le lendemain matin, je pris le premier bateau pour Prapat. La montagne-volcan avait disparu sous une brume épaisse.
(Lac Toba, Sumatra, Indonésie)
Vent de poussière

Mille questions à lui poser sur les Nobles Vérités, l’infinie compassion…
Constatant la barrière de la langue, toujours souriant, s’est contenté de roter bruyamment.
(Phimaï, Est Thaïlande)
vendredi 2 avril 2010
Ivre de Tao (2)

Ignorez-vous, amis,
Ivre de Tao

mardi 9 mars 2010
TENERIFE (2)


Mojo rojo
samedi 6 mars 2010
TENERIFE
Il fallut une année zéro, une faille dans l'éternel printemps - pensez, avec tout ce qu'ils envoient là-haut et ces histoires d'ours polaires qui fondent. Tenerife sous le chaos. Rincée, balayée, pliée, la carte postale! Ben oui, nous y étions. Du coup, dans la tempête comme dans l'accalmie, nous avons découvert une île d'une beauté puissante et sauvage…
vendredi 5 mars 2010
Bifurcation

mardi 2 mars 2010
L’Âne au lexique
Avant de se lancer dans l’aventure, il convient de mieux connaître l’âne. Et donc de se débarrasser d’idées reçues malheureusement fort répandues, souvent inexactes voire totalement délirantes et en tout cas injustes envers cet étonnant compagnon. Voici donc un petit lexique (non exhaustif) d’expressions qui devrait nous ouvrir les œillères…
Têtu comme un âne : première ineptie qui renvoie depuis des temps immémoriaux à des images d’âne traînant des sabots poussé par derrière et tiré par devant par des bipèdes exaspérés, ou encore cheminant bêtement à la poursuite d’une carotte agitée devant ses yeux

D’aucuns ayant pris le parti de rivaliser dans l’entêtement se sont retrouvés des jours durant baladés accrochés au cou de l’âne et traînés par la force phénoménale de la bête et ses 300 kilos…
Âne baté ! : loin d’être en réalité une insulte, cette expression est un cri de soulagement. Il éclate dans l’air humide du petit matin, lorsque que le joyeux randonneur, les yeux gonflés de sommeil et les membres courbatus des errances de la veille, a fini de brosser le poil et le crin de la bête, curer ses sabots (premier coup de tatane à esquiver), chasser les mouches, les guêpes, soigner ses plaies, étaler la couverture, poser le bât de bois, le sangler en 2 endroits sous le garrot (nouvelles esquives, injures et appels à l’aide), placer les sacs sur les flancs de l’animal de façon équilibrée et, le cas échéant, voir tout le travail s’effondrer piteusement et reprendre au point 1. ANE BÂTÉ !!!! hurle le pélerin excédé. L’âne bâté n’est en fait pas toujours celui qu’on croit…
Dire des âneries : encore une preuve que l’homme a transféré sur ce brave animal toute la charge de son ignorance, car enfin l’âne n’est pas bavard et en tout cas ne parle pas pour ne rien dire, lorsqu’il lance par exemple ses déchirants braiements à travers la campagne – sans doute communique-t-il avec un troupeau de ses congénères broutant à des kilomètres de là, prouvant par là-même que l’homme n’a pas inventé la communication sans fil… ni celui à couper le beurre.
Passer du coq à l’âne (et vice versa): un exercice bien peu pratique en réalité, étant donné que la charge moyenne pour un âne est de 40 kilos contre quelques centaines de grammes pour un coq. Même en n’emportant que le strict minimum, le coq s’avère donc moins utile qu’un petit sac à dos. Seul avantage par rapport à l’équidé : quand le coq refuse d’avancer, il suffit de le chopper et de se le mettre sous le bras.
L’Âne à Kinn (Skywalker) : de la famille des Jedi, c’est à cette espèce que l’on doit en grande partie cette triste réputation de bête obstinée. Quel que soit le côté par lequel on tient la longe, cet âne-là nous fera toujours chavirer du côté obscur de la pente.
