lundi 22 novembre 2010

Divination


Au chevet du grand bouddha couché
Le devin ivrogne me révèle contre quelques sous
Les numéros gagnants du loto

Courant au bureau de poste
Pour les télégraphier à My
Sur le chemin me poursuit
Le sourire de l’Eveillé



(Chiang Maï, Thaïlande)

mercredi 10 novembre 2010

Position des corps adverses comme s'ils étaient laqués ou collés


"Laqués ou collés" signifie que les corps des deux adversaires sont très rapprochés et ne se séparent plus. Lorsque nous approchons du corps de notre adversaire, collons-nous fort à lui par la tête, le tronc et les jambes.
Bien qu'en général les gens approchent vite leur visage et leurs jambes, leur corps est sujet à demeurer en arrière. Il faut donc bien coller son corps à celui de l'adversaire et y adhérer de façon qu'il n'y ait aucun espace. Réfléchissez-y bien.

Miyamoto Musashi, Traité des Cinq Roues

mercredi 3 novembre 2010

Ma plongée avec Nicolas Hulot


Me voilà explorant les fonds marins en compagnie de Nicolas Hulot et de quelques-uns de ses collègues. Nous nageons en eaux peu profondes, près d'un récif qui dresse ses ombres noires et déchiquetées, inquiétantes, dans le soir tombant. Lorsque nous remontons à la surface, Nicolas, l'homme-sorti-de-la-télé-pour-sauver-la-planète, me lance un regard incrédule; ses bras qui se lèvent et retombent dans un plouf pathétique expriment le dépit. Je comprends aussitôt. L'inquiétude me saisit comme une giclée d'adrénaline: tous les autres plongeurs ont disparu et, c'est sûr, courent maintenant un grand danger. Je repars pour une nouvelle immersion dans les eaux noires, fébrile, me sentant bientôt la proie facile d'un péril indicible. Mais aussi mystérieusement qu'ils s'étaient volatilisés, nos compères réapparaissent à nos côtés. Dans le soulagement général, personne ne songera à demander d’explication.

Regagnée la rive - la nuit enveloppe maintenant complètement cette vaste étendue de roches noires et nues, le vent s'est levé -, nous avançons courbés face aux rafales chargées d'embruns d'un vent augurant l'imminence de la tempête, lorsque je m'aperçois soudain que je suis vêtu en tout et pour tout d'un T-shirt recouvrant à peine mon sexe et mon cul nu! Personne n'a semblé s'en émouvoir jusque-là, et pas plus lorsque j'annonce à Nicolas et ses compagnons qu'il me faut aller rechercher mon slip et mon pantalon que j'avais pris soin, avant la plongée, de laisser en consigne dans un bar breton de la côte, un peu plus loin sur la falaise. Avisant la tempête, qui maintenant nous jette à la face son souffle monstrueux et ses trombes de pluie, mes camarades décident de s'engouffrer dans la première auberge qui apparaît - abracadabra! - à notre droite, plantée seule au milieu de ce ténébreux désert minéral. Devant l'entrée une ampoule nue se balance dans le vent et hoquette en venant frapper l'auvent de bois. Je dois pour ma part poursuivre ma quête, car l'idée m'est désormais insoutenable de devoir continuer à m'exhiber dans cet accoutrement.

Je chemine seul, en ligne droite, le long d'une crête, la tempête redouble de violence lorsque je franchis péniblement un pont suspendu - d'une traite wouf! sans regarder pour tromper le vertige! Dès la sortie du pont, je suis accueilli par des cris abjects, rires gras et moqueries provenant d'une famille attablée devant une caravane - grasse mémère blonde décolorée dans une robe à fleurs bleues, petit papa rougeaud, moustachu, cheveu gras plaqué sur un crâne rabougri, insignifiant dans son fauteuil pliant en synthétique, et gamins morveux bouffant leur purée à la petite cuiller avec le sourire narquois de la bêtise.
"Hé r'garde-moi ça, éructe la mégère, il a pas d'culotte, y s'balade à poil! Ha ha!"
Je hâte le pas, je marche, toujours et encore, en ligne droite, je ne reconnais bientôt plus rien. Il me semble pourtant que le bar n'était pas si loin. Puis des lumières, du bruit, une odeur de pain chaud et la vision d'énormes miches dorées et croustillantes qui s'étalent dans la vitrine d'une boulangerie vaste comme un hall de gare. Me voici dans un centre commercial. Les lumières crues, les enseignes au néon, épileptiques, la foule hagarde poussant des chariots, l'écho diffus des hauts-parleurs dégueulant simultanément musique d'ambiance et super-promotions… une atroce agression pour l'homme nu sorti des ténèbres. Les pains passent de mains en mains le long d'une chaîne d'hommes au regard sombre, aux gestes nerveux mais précis. Ce curieux trafic ne m'émeut pourtant pas, accaparé que je suis par une idée lumineuse: puisque je ne nourris plus aucun espoir de retrouver mes affaires, pourquoi ne pas me racheter ne serait-ce qu'un short afin de cacher mes parties et rejoindre apaisé l'auberge de la falaise, où m'attendent mes amis écologistes? Depuis le tapis roulant je jette des regards avides dans un magasin de vêtements, mais le tapis m'emporte, je ne suis plus maître de mes mouvements; les vitrines - alléchantes - défilent, je suis perdu, je me lance dans de sinistres couloirs blancs donnant sur de multiples portes débouchant sur… de sinistres couloirs blancs donnant sur de multiples portes, etc., des virages, des coudes des demi-tours… Ah enfin des gens! Faire la queue avec eux - les queues mènent toujours quelque part, il faut avoir confiance et se laisser porter par ces agglomérats humains. Au bout, la porte s'ouvre et se referme sur des toilettes. J'avise deux autres entrées au fond, je cours, en choisis une et me trouve enfin à l'air libre!

Une sorte de cour intérieure, non une ville de la taille d'une cour intérieure, un dédale d'escaliers et de ruelles minuscules serpentent à travers un fouillis de maisons carrées aux tons ocre. Un joli tableau, silencieux, anachronique, que j'ai à peine le temps de contempler puisque, surgi de nulle part, un saltimbanque au costume bigarré, ridicule - chapeau à plumes, masque au long nez, cape de velours cramoisi et vert -, s'est jeté en travers de mon chemin et déclame avec emphase des tirades incompréhensibles
« Armanio Rikiti, duc de la Cité pourpre (brandissant un fanion triangulaire) : ronds-de-jambes, jabots et tout le tralala, un genou à terre me voilà, débarrasseur d'embarras, une clé sous la paupière, une chenille sur le toit - la joie, la joie dans ce foutu fatras! »


— « Mmh mmh…»

(Séance à 45 euros, septembre 2003)