mercredi 25 août 2010

La main de Bouddha… sur l'accélérateur


Une pétarade. Un klaxon enroué. Un nuage de poussière. Sourire jusqu'aux oreilles, chemise ouverte sur un tigre rugissant tatoué sur toute la surface de la poitrine, Jamlong roulait à tombeau ouvert sur sa vieille moto chargée jusqu'au ciel de sacs de riz, de cages de poulets, de ferraille rouillée… Sans jamais lâcher la poignée de l'accélérateur, il zigzaguait, se faufilait entre les poids lourds, faisait de brusques écarts pour éviter les passants ou les chiens errants qui avaient le malheur de se trouver sur sa trajectoire, trouvait des raccourcis dans des ruelles étroites comme des corridors, sur les terre-plein, les escaliers même. Aucun obstacle ne pouvait infléchir son inclination morbide pour la vitesse.

Un jour que je le trouvai miraculeusement à l'arrêt, je lui avais fait part de mes réserves quant à son espérance de vie dans cette partie du monde où la seule règle du code de la route qui tienne est: "le plus gros et le plus bruyant est prioritaire".

- "Je peux pas mourir, il ne peut rien m'arriver!", m' avait-il assuré, bravache.

Quand il n'était pas monté sur cercueil roulant, Jamlong avait d'autres occupations, tout aussi limitrophes de sa prochaine réincarnation : confection de bombes artisanales à base de pierre de carbure - pour le fun, et pour se rappeler le bon temps de l'armée quand il arrosait de tirs de mortier, planqué dans la jungle, la Birmanie voisine -, descente sans rappel d'alcool de riz, de joints d'herbe et de pipes d'opium…

Sans vouloir jouer sa bonne conscience, mais parce que ses 8 ans d'âge mental et son invulnérabilité présumée le faisaient paraître à mes yeux comme un petit être entouré de magie, je lui avais réitéré mes craintes.

- "Il peut rien m'arriver, je suis protégé, je te dis!"

Comme il sut capter la fascination derrière ma mine sceptique, il consentit à me révéler le secret de son immortalité. Il ôta sa chemise et me tourna le dos, où je découvris, sur la peau brune, des entrelacs de signes et de formules ésotériques grossièrement tatoués à la main.
- "Attends", ajouta-t-il d'un ton de conspirateur. Il sortit de sa poche un mouchoir crasseux, l'ouvrit délicatement par les quatre coins. Il leva vers moi des yeux brillants, tendant la main.
Dans le mouchoir, un chapelet de petites figurines à l'effigie du Bouddha, chacune enfermée dans son écrin de plastique transparent…

(Mae Hong Sorn, Nord Thaïlande)

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